Code Dune [livres]

Paul avait vu. Le futur s'était offert à lui avec sa multitude de possibilité, entremêlées comme une toile et il les voyaient toutes à la fois tout comme il voyait le passé et le maintenant. Ses yeux s'étaient clos et un voile se posa lentement sur le futur, l'empêcha de voir plus loin et le fit reculer jusqu'au maintenant. C'était ainsi que Paul pensait au présent car il était omniscient, perdu dans le Temps. Il voyait à la fois le passé, le maintenant et le futur.
Lorsqu'il rouvrit les paupières, il n'était plus à Arrakeen mais dans une immense ville luminescente. Aveuglé par la lumière, il observa autour de lui, le regard attentif. Des hommes et des machines se mêlaient aux alentours. Et contre toute attente, ce n'était pas un moment du passé datant d'avant le Jihad Butlérien*. Il ne voyait ni passé ni avenir, seulement le maintenant. Stilgar et sa Chani n'étaient plus à ses côtés, l'Empereur Shaddam IV et les prisonniers avaient disparu et la princesse Irulan aussi. Il n'était plus sur Arrakis, il ne pourrait plus mener l'univers vers la paix qu'il désirait mais avec cette possibilité, le Jihad Fremen s'effaçait également et les craintes qui s'étaient installées dans son esprit disparaissait.

Son esprit reconnaissait l'endroit, il l'avait vu. Mais désormais, il ne voyait plus. Son don de prescience s'était effacé en l'espace d'un instant, tout comme sa Mémoire Seconde. Il n'y avait ici aucune trace d'épice, l'odeur de cannelle que dégageait le Mélange et qui envahissait la planète Dune avait disparu. Et bientôt, Muad'Dib ne pouvait l'ignorait, il ressentirait l'effet de son manque. Ses yeux entièrement bleus viendraient à s'estomper pour retrouver leur couleur d'origine s'il survivait au sevrage. Il n'y avait personne dont il ait entendu parler qui avait vécu après avoir manqué d'épice mais il n'y avait personne dont il ait entendu parler qui lui ressemblait. Les Bene Gesserit pensaient qu'il était le Kwisatz Haderach, le mâle qui couvrirait à la fois l'espace et le temps, dont les pouvoirs dépasseraient ceux de n'importe quelle Révérende Mère. À ses yeux, il était une monstruosité, l'aboutissement d'une longue sélection génétique du Bene Gesserit, une création de sa propre mère. Elle avait désiré donné la vie au Kwisatz Haderach et désormais, parfois, il l'effrayait. Comme expliquer l'inexplicable ? Personne, pas même sa mère, ne pouvait comprendre ce qu'il lui était donné de voir, comment il le voyait. Il était seul avec ce fardeau mais la présence de Chani lui apportait du réconfort et de l'amour.
Seulement, Chani n'était point ici. Avec elle, la prescience s'était évaporée et Paul se sentait libre. Il n'était plus enchainé au destin, il n'était plus le Madhi des Fremen ou le Duc des Atréides. Il était simplement Paul Muad'Dib, un Fremen perdu dans l'immensité d'une ville sur le point de sombrer dans le chaos.

« Tu ne feras point de machine à l'esprit de l'homme semblable. »

Tout autour de lui semblait aller à l'encontre de ce commandement de la Bible Catholique Orange.
Chaque pas qu'il faisait dans ce monde l'emmenait un peu plus vers un nouveau destin bien différent de celui qui l'attendait sur Arrakis. Il n'avait nul besoin de la prescience pour le comprendre. Ce monde cherchait une paix que les machines ne pourraient leur apporter.

Mori Inc. était le seul lieu où il avait pu trouver refuge. Au cœur des réfugiés, il s'était fait sa place en quelques jours. Son expérience lui avait permis de se rendre utile, il savait survivre dans un milieu hostile, il connaissait la valeur des choses rares et surtout, la valeur de l'eau. Il savait se battre, mieux que les Fremen à qui il avait enseigné l'art du combat car il avait lui même appris de l'un des meilleurs combattants que l'univers ait pu connaitre : Duncan Idaho. Et visiblement, cela lui avait valu d'attirer l'attention de l'entreprise qui servait de refuse.
Enfermé dans son distille, il suivait désormais les hommes de Mori vers le bureau de ce dernier. Le silence était pesait sur le trajet mais il était loin d'oppresser la poitrine de Paul. Il avait connu situation plus complexe et délicate. Ses yeux glissaient sur les environs sans jamais s'arrêter sur un objet particulier. Il se remémorait son entrainement Prana-Bindu, contrôlant sa respiration et ayant conscience de chacun des muscles de son corps qu'il gardait sous contrôle, prêt à agir si cela devenait nécessaire. Il pénétra dans le bureau et cette fois, son regard se fixa sur le dirigeant de cette entreprise pharmaceutique qui était bien plus. Son éducation Bene Gesserit le rendait attentif au plus insignifiant détail et il avait vu bien des choses qui échappaient au regard non aguerri.

« Monsieur Mori. », prononça-t-il d'un ton protocolaire en contrôlant les fluctuations de sa voix.

* Jihad Butlérien : croisade lancée contre les ordinateurs, les machines pensantes et les robots conscients en 201 avant la Guilde et qui prit fin en 108. Son principal commandement figure dans la Bible Catholique Orange : « Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable.